Du 20 au 25 mars, se déroule la traditionnelle Semaine de la presse à l’école, qui a pris un écho particulier depuis janvier 2015 et l’importance extrême désormais donnée à la question de l’information, de sa réception et de sa compréhension par les jeunes scolarisés. Cette édition 2017 est placée sous le signe de « l’éducation à la citoyenneté et de l’éveil à l’esprit critique » et a pour thème « D‘où vient l’info? ». L’info vient principalement des journalistes et beaucoup d’entre eux, à titre individuel ou encouragés par leurs médias respectifs, de plus en plus mobilisés sur ces thèmes, se rendent dans les classes, invités par les enseignants, pour défendre et faire comprendre leur métier. Ils le font dans le cadre de cette semaine mais aussi avant et après, dans une démarche devenue permanente. Notre adhérente Sandrine Chesnel en fait partie et s’en explique dans ce billet que l’Ajéduc a jugé utile et intéressant de répercuter.
« Quand j’ai commencé à aller rencontrer des élèves dans leur établissement scolaire pour parler de mon métier, il y a quelques années, ma principale motivation était de leur apporter ce qui m’avait manqué lorsque j’étais ado : des échanges avec des professionnels, et notamment des journalistes, pour les aider à se projeter dans leur vie d’adulte. Journaliste spécialisée en Société et en Education, j’y voyais aussi une géniale opportunité de rencontrer de jeunes lecteurs potentiels, et leurs enseignants, en dehors des temps de reportage.
C’est comme ça que je me suis retrouvée pour la première fois, il y a six ou sept ans, face à des élèves de CM2, dans une école de ma ville. La maîtresse avait tout organisé, les questions des enfants portaient sur le métier de journaliste, les horaires, les côtés positifs et négatifs… Un bain de bonne humeur et d’enthousiasme. Puis il y a eu les 3e d’un établissement d’élite, les secondes d’un lycée pro de grande banlieue, les 3e d’un collège lambda des Yvelines, etc…
Lorsque j’étais en poste en rédaction, jusqu’au Printemps dernier, ces rendez-vous se déroulaient sur mon temps libre. Cette année, de retour volontaire au journalisme indépendant, je me suis promis de profiter de ma liberté pour essayer de rencontrer davantage d’élèves et d’enseignants – je précise que ces rencontres ne sont évidemment pas rémunérées, et jusqu’à présent n’ont jamais été défrayées (même s’il peut m’arriver d’accepter une invitation à la cantine !).
Depuis janvier, je suis donc allée dans deux établissements, accueillie par une classe de secondes à Athis-Mons dans l’Essonne, et une classe de 3e à Mantes-La-Ville dans les Yvelines. Trois autres interventions sont prévues en mars, en banlieue parisienne, et aussi en Normandie. A chaque fois ou presque, je passe par Twitter: je lance un petit appel pour dire que je suis disponible, et les demandes arrivent – magique! Pour ne pas me limiter aux enseignants qui sont sur ce réseau, je suis aussi inscrite à la Réserve citoyenne, et bien sûr, sur Mediaéducation.fr.
Ces moments d’échanges sont toujours très riches pour moi, et aussi, je l’espère, pour les élèves et leurs enseignants. J’aime (j’adore !) ces moments de partage parce que c’est une occasion de réfléchir sur mon métier, ma pratique professionnelle, mais aussi mon engagement en tant que citoyenne. Car, on ne va pas se mentir, la nature des interrogations portées par les loulous a évolué, depuis trois ou quatre ans. Aux habituelles questions « vous avez déjà rencontré des personnes célèbres? », « vous gagnez combien ? », « vous avez quel bac ? » sont venues s’ajouter d’autres interrogations, plus pointues, voire accusatrices. La défiance que nous constatons de plus en plus, nous journalistes qui allons sur le terrain, mais aussi ceux d’entre nous qui prennent la peine de lire les commentaires sous les articles, elle est là aussi, dans ces jeunes cerveaux.
…Florilège des remarques entendues lors des mes dernières interventions:
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« Mais Madame, des fois, vous mentez dans vos articles, non ? »
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« On sait bien que vous savez des choses mais que vous ne les dites pas ! »
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« Est-ce que votre chef/le ministre/le propriétaire du journal/ peut vous imposer des sujets d’articles ? »
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« Le problème, Madame, c’est que les journalistes veulent nous faire penser comme eux »
Alors je tente de répondre, au mieux, et en fonction de mon expérience professionnelle à L’Express, à L’Etudiant, ou ailleurs. J’essaie d’expliquer que, ‘non’, on ne ment pas dans nos articles pour faire plus intéressant, et que ‘non’, généralement, les rédacteurs en chef ne nous dictent pas le contenu de nos sujets, et que ‘oui’, parfois, un journaliste peut rapporter une information fausse, ‘oui’, c’est grave, mais ça ne relève pas d’un complot ourdi par les puissances de l’argent (ni par les illuminatis ou les reptiliens). Parfois, j’avoue, je m’énerve un peu trop. Par exemple quand un élève m’explique qu’il s’informe en regardant Cyril Hanouna et son émission Touche pas à mon poste, et que c’est bien suffisant. Grrr…
Parfois aussi, je sens bien que je n’arrive pas à convaincre. Je suis quadra, un peu blonde, j’ai un boulot dans lequel je m’éclate, et je sais que beaucoup des jeunes en face de moi s’imaginent qu’une fois nos deux heures de rendez-vous écoulées, je vais retourner dans mon appartement de luxe du 7e arrondissement, pour préparer des toasts au caviar à l’intention de mes amis avocats, politiques, et banquiers. Alors je leur raconte ma vie, je leur dis combien je gagne, en ne cachant pas les très bonnes années, ni les moins bonnes, je ne me prive pas non plus de leur préciser que j’habite en grande banlieue, que ma mère était « instit », mon père dépanneur de télés, et que je viens d’un « trou » normand, loin des sièges des grands médias nationaux. J’espère au passage leur démontrer que même sans relations, s’ils se bougent un minimum et écoutent leurs profs, ils peuvent eux aussi se faire une place au soleil. Souvent, je vois dans l’œil de l’un ou l’une un petit éclat, une qualité d’attention qui me font penser que j’ai peut-être fait mouche – ça suffit à éclairer ma journée.
PS : Si de plus en plus d’acteurs de l’éducation sont convaincus et très investis dans l’Education aux médias à destination de la jeunesse, rien n’est proposé aux adultes. Et pourtant, nombre de personnes très intégrées et tout à fait bien pourvues en neurones nourrissent une méfiance de plus en plus grande à l’égard des journalistes. Ce sont les mêmes qui partagent sans hésiter sur leur page Facebook fake news et délires complotistes. Je sais que certaines médiathèques organisent parfois ce type de rencontres, mais trop souvent autour de « stars » du journalisme. Or je crois que c’est plutôt dans la rencontre entre journalistes « de base » et citoyens que se trouve notre salut, et par ricochet, la survie de l’information de qualité. Je sais que nous avons mutuellement beaucoup à apprendre en échangeant hors du contexte contraint des reportages. Une possibilité pourrait être d’organiser dans les établissements scolaires des rencontres avec les parents…? N’hésitez pas à me contacter si vous êtes intéressé.
Cet article a d’abord été publié sur le blog de Sandrine Chesnel « Le carnet de correspondance »